Texte par Dominique Pascaud
Ecrivain dont le livre "Figurante" aux Editions de La Martinière.


Il se peut que les formes et les sons, en un instant, se matérialisent en un fragment distinct, séparé du quotidien et pourtant,
inévitablement accroché à celui-ci dans un adoubement subtil,
où l’œil et le sujet dialoguent de concert pour apporter une énergie nouvelle à un dispositif immuable.
Rien de spectaculaire - non pas que les images possèdent en elles de l'effet, juste une approche franche et discrète sur un horizon que l'on croyait connaître.
Ici, l'image (puisqu'il y en a une) résonne avec des milliers d'autres; des connues, des palpables, des banales, presque.
Pourtant, elle nous invite à un tout autre regard. Au delà d'une contemplation passive, nous sommes conviés à une réflexion douce et sensuelle,
comme happés par le sujet et son dispositif, faussement simple, toujours élégant, sans emphase mais toujours humble.
Ce que l'on pensait comme admis et assimilé dans notre champ visuel (une route, une maison, un arbre, ...)
nous est ici présenté dans un temps unique, celui d'une rencontre;
tous les objets qui s'offrent à nous appellent des souvenirs communs mais semblent en créer des neufs,
comme si une narration en devenir, muette et mentale, s'organisait entre le regard et la photographie.
Et c'est là qu'une émotion jaillit : l'étrangeté se dévoile tandis que le familier se dérobe.
Je pensais voir un sous-bois, une colline, un étang, une façade; je découvre un territoire vierge, comme si un homme, pour la première fois,
l'inventait devant moi. Et je fais partie de cette expédition, pris par la main et l'épaule dans un mouvement privilégié, annonciateur d'un moment unique.
Les pleins et les vides des compositions se répondent en un vertige visuel, toujours calculé, sollicitant tous nos sens
(c'est pourquoi il me semble parfois sentir, toucher ou entendre les choses lorsque je fais face à ces images).
La parfaite maîtrise des compositions donne une solennité apaisée où gronde aussi l’effervescence de danses mystiques ou païennes,
éclairées par le jeu des contrastes, que ce soient des lumières naturelles ou des phares inondant de leur faisceau la profondeur des nuits.
Les décors naturels et les intérieurs sont des tableaux où se joue l'éphémère scène de l'embrasement des lignes de force : captées au vif, sur le motif,
elles nous font pénétrer des univers que l'on pensait domptés mais qui, à chaque image, se rebellent dans leur cadre.
L'anecdote se transforme en sereine immuabilité. Face à ces mondes aux couleurs tamisées, aux gris, aux blancs, aux noirs admirablement agencés,
les objets, les maisons, les humains sont autant de petites empreintes venues se coller sur notre rétine comme une plume sur la surface d'une eau dormante.
La tension est là, réelle, présente mais elle s'assure, par sa pudeur, de nous bouleverser que plus tard, dans un second mouvement,
dans notre imaginaire encore bercé de ces visions harmonieuses que l'on savoure plusieurs fois. La beauté des photographies nous comblent au delà de nos attentes:
elles nourrissent en nous de puissants vecteurs affectifs tout en faisant naître de nouveaux troubles, toujours séduisants, poétiques et bienveillants.